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Épisode 69: Revoir ses certitudes sur le monde VICA avec Laurent Bibard

Sommaire de l’épisode

Un véritable traité sur la complexité ! Voici ce à quoi cet entretien avec Laurent Bibard vous invite. Complexité, incertitude et ambiguïté, comment ces notions sont-elles reliées entre-elles et pourquoi y accordons-nous tant d’importance de nos jours. 

Voici certaines des questions auxquelles Laurent Bibard donne des réponses qui font sens dans cet épisode 69 de notre podcast. 

Attention, encore ici des idées bien établies vont en prendre pour leur rhume. Surtout vous qui aimez contrôler, vous allez trouver un antidote à vos angoisses concernant complexité, ambiguïté et incertitude !

Episode 69: Revoir ses certitudes sur le monde VICA avec Laurent Bibard

Laurent Bibard

Laurent Bibard est professeur à l’ESSEC à Paris dont il a dirigé la plate-forme MBA de 2005 à 2010. Il y enseigne la philosophie politique, la sociologie, et l’économie. Désormais responsable de la filière Management et philosophie, il travaille en particulier sur les dynamiques de vigilance en situation de crise.  

Il est également Directeur académique pour l’ESSEC du Master Eau pour Tous (OpT) déployé en collaboration avec ArgoParisTech. Après son ouvrage intitulé Complexité et organisations, Faire face aux défis de demain, publié 2018 en collaboration avec Edgar Morin, son dernier livre présente une Phénoménologie des sexualités, La modernité et la question du sens (2021).

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Détails de l’épisode

(0:00) Bienvenue à l’épisode 69

  • Entretien avec Laurent Bibard.

(01:47) Définir la complexité

On entend beaucoup parler de complexité de nos jours, mais comment définir la complexité ?

  • Complexité est un mot-valise, mais l’étymologie nous renvoie au latin Complexus : tissus, tissage. Un tissu pour les anciens est une métaphore pour la vie collective.  Donc la vie a toujours été complexe !
  • On a toujours vécu en complexité.
  • Notre besoin de simplicité émerge de notre difficulté de reconnaître la complexité. On a besoin de simplicité. Mais éviter de tomber dans le simplisme.

(04:24) Complexité et contrôle

Le monde ou nous vivons aujourd’hui est-il forcément plus complexe que celui d’hier et moins que celui de demain ? Est-ce corrélé à nos progrès scientifiques ou simplement à l’accroissement de la population par exemple ?

  • Il a toujours été complexe car la vie humaine a toujours été collective
  • On voudrait de plus en plus tout contrôler. Le désir de contrôle trahit un désir de simplicité, donc une sorte d’aversion à la complexité.
  • Vivre en complexité en l’acceptant nous la rend beaucoup plus facile à vivre.
  • On communique de moins en moins bien car on s’exprime de plus en plus.  On ne prend plus le temps de critiquer les informations.  Et notre écoute est relativement médiocre.

(06:59) Make a decision vs prendre une décision

J’aimerais beaucoup parler avec toi de l’acte de décider, de prise de décision. Les anglophones disent « make a decision » et les francophones disent « prendre une décision ». Qu’est-ce qui se cache derrière cette différence ?

  • Faire une décision, c’est aussi la responsabilité de fabriquer une option. 
  • L’avenir n’existe pas encore, mais il se construit à l’aide de nos décisions. C’est très responsabilisant.
  • Nous fabriquons les options, mais faisons les choix parmi celles-ci.

(08:33) Ambiguïté et signaux 

Parlons un peu d’ambiguïté.  Voit-on davantage d’ambiguïté qu’avant ou est-ce aussi une illusion ?

  • Ça n’a pas augmenté.  
  • Comme nous avons un rêve de clarification totale, relié à notre besoin de contrôle, nous sommes à l’affût de tout ce qui émerge.
  • Dans un monde émergent, il y a des cygnes noirs, des signaux faibles. Nous avons tendance à les amplifier, à en voir partout. Et cela favorise l’inquiétude et l’angoisse.

(10:46) Impact générationnel

Nous intéressons-nous à ces questions parce que nous sommes plus vieux, que nous vivons plus vieux, ou en vieillissant ?

  • Je ne crois pas. Notre génération (à toi et moi) avons eu une vie relativement paisible.
  • Les nouvelles générations sont plongées dans un monde complexe et le vivent comme tel mais n’en parlent pas nécessairement beaucoup en public.
  • Les mémoires de mes étudiants sont remarquables, mais leur expression publique est plus timorée.

(12:30) Les questions de fond sur l’incertitude

Parlons un peu d’incertitude. Même question que pour la complexité : est-elle vraiment plus grande qu’avant ou, au contraire, est-ce une prise de conscience qu’il y a de plus en plus de choses dont nous sommes ignorants ?

  • L’incertitude est une des caractéristiques décisives de la complexité.
  • Ce n’est pas le cas dans le monde anglo-saxon où un parle de monde VICA, où la notion d’incertitude est décorrélée de la complexité.
  • L’incertitude peut tout autant être positive que négative : il faut rester ouvert à l’imprévu ! Il faut l’accueillir.
  • Il y a toujours eu de l’incertitude, mais notre rapport à celle-ci évolue : on aimerait contrôler, mais on ne sait pas tout. Notre rapport à l’incertitude est directement proportionnel à nos attentes de mise sous contrôle.
  • Ce n’est pas le contrôle lui-même qui pose problème, mais l’attente qu’il soit exclusif. Ce n’est ni possible, ni souhaitable.
  • Edgar Morin, dans un article intitulé « Complexité restreinte et complexité générale », nous dit que la complexité selon les anglo-saxons est une complexité objective, de systèmes, cybernétique par exemple. La vision européenne est surtout humaine, donc pleine d’incertitude.

(17:17) Incertitude et politique

Concrètement, je m’appelle Décathlon et j’ai amorcé mon expansion aux É.-U., que faire avec l’incertitude sur l’inflation, la hausse des taux d’intérêt, un retour de Trump, ou de son fils ou sa fille ou son gendre, au pouvoir en 2024 par exemple ou simplement de risques sur la transmission des pouvoirs politiques ? Je poursuis mon expansion ou je ralentis ? La question est-elle pertinente ?

  • Il faut poser la question autrement : les entreprises ne peuvent plus ignorer la vie politique.
  • De nouvelles questions se posent aux entreprises : comment penser le rôle des entreprises dans cette transition écologique indispensable ? Avec qui et jusqu’où ?
  • Elles ne peuvent pas faire comme si elles n’étaient destinées qu’à faire des profits.
  • Les questions stratégiques sont désormais liées à celles de quête du sens et d’inscription dans la vie collective des sociétés où elles font des affaires.

(20:48) Explorer au-delà des zones de confort

Quelques questions plus personnelles pour terminer. Tu parles de « zones de confort » et de leur utilité, mais aussi de ne pas systématiquement y recourir. Quels conseils donnerais-tu à un ou une « accro » à ses zones de confort ?

  • D’abord, on en a tous besoin !  Elles sont fabriquées par ce que nous savons faire, par ce que nous connaissons déjà. Il ne faut pas se juger d’en avoir besoin.
  • Mais il est capital de questionner ce qui nous semble évident, que ce que nous faisions jusqu’à maintenant puisse soudainement se révéler inadéquat. Donc prendre appui sur les zones de confort et s’en éloigner lorsque nécessaire.
  • Un point d’appui est aussi fait pour qu’on le quitte !

(23:20) Philosophie et management

Philosophie et management, moi qui ai adoré mes cours de philosophie, mais qui ai choisi le management pour gagner ma vie, les deux ne seraient donc pas si distincts ?

  • La philosophie c’est l’art de poser les questions, le management c’est l’art d’apporter les réponses. Nous avons tous ces qualités !
  • En ce moment, on cherche des réponses sans poser les bonnes questions
  • La philosophie ne sert à rien, donc elle sert tout ! Donc réapprendre à problématiser le réel pour trouver les bonnes réponses.
  • Il y a une humilité croissante chez nos étudiants de MBA depuis une dizaine d’années et c’est une très bonne nouvelle.

(27:26) Conseil aux jeunes cadres

Un conseil aux jeunes cadres qui nous écoutent ?

  • Réapprendre à entendre, à écouter les autres et soi-même. Rien n’est jamais acquis, ni la force, ni la faiblesse.
  • L’humilité et la confiance sont capitales, pour une communication clarifiée.

(28:23) Conseil aux dirigeants

Et finalement, un conseil pour le dirigeant ou dirigeante qui fait face à cette complexité au quotidien ?

  • La complexité augmente si on sombre dans le simplisme, elle est un atout si on sait l’écouter, réapprendre à tout le monde à prendre la parole. 
  • Nos équipes sont plus compétentes qu’on le croit.

(30:17) Conclusion

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